25 mars 2009

Peer-to-peer : qu'en pensent vraiment les artistes ?

Lors des débats sur la loi dite "HADOPI" par exemple, notre Ministre de la Culture Christine Albanel a de nombreuses fois prétendu être du côté des artistes, et s'en est servi pour accuser le camp adverse. Un site de propagande à l'adresse jaimelesartistes.fr a même vu le jour, proposant de nombreux discours d'artistes soutenant la loi Création et Internet. Tout le monde pense donc que les artistes soutiennent unanimement cette loi et les démarches du même genre. Mais la réalité est toute autre.


1) Le site jaimelesartistes.fr a été manipulé
En effet, si les artistes ont été conviés pour parler d'Internet en général, il semble qu'ils n'ont pas été prévenus qu'ils s'exprimaient en soutien de la loi HADOPI… Ils ont simplement demandé aux artistes comment eux feraient, puis fait un montage qui donne l'impression que chaque artiste soutien des aspects de la loi HADOPI.


2) La plupart des artistes ne réalisent pas les enjeux de cette loi
Un chanteur n'est pas plus intelligent qu'un autre, et à part les internautes peu de gens réalisent que la loi Création et Internet se basera sur un élément de preuve insuffisant pour sanctionner des soi-disant pirates, qui se verront refuser des droits fondamentaux comme la présomption d'innocence, ou encore le droit à la défense. Ah excusez-moi, ils auront le droit de contester une fois la coupure de leur ligne Internet effectuée, mais cette contestation n'annulant pas ladite coupure le temps qu'une enquête juridique soit menée, le résultat sera le même…
Donc beaucoup de soutiens à la loi HADOPI sont simplement des artistes à qui Mme Albanel a sorti sa propagande sur sa loi soi-disant éducative, et qui y ont cru.


3) Beaucoup d'artistes ont compris et défendent le "piratage"
C'est le cas par exemple de 700 artistes anglais qui se sont récemment exprimés contre la criminalisation de leurs fans, parmi lesquels Robbie Williams, Annie Lennox, Billy Bragg, David Rowntree de Blur, Ed O’Brian de Radiohead, Peter Gabriel, David Gray, Fran Healy de Travis, Nick Mason de Pink Floyd, Mick Jones des Clash, Craig David, Iron Maiden, Soul II Soul, Wet Wet Wet, David Gilmour…
En France, le seul pays au monde où le gouvernement n'a pas abandonné l'idée de la riposte graduée en continuant à essayer de faire passer sa loi HADOPI, les artistes sont loin d'être aussi unanimes qu'annoncés par la propagande du Ministère de la Culture. Outre les manipulations dénoncées plus haut, certains se positionnent ouvertement contre la loi HADOPI, comme Cerrone, lui aussi utilisé par le Ministère de la Culture, qui a déclaré entre autres :
"Je n'ai jamais autant gagné ma vie qu'aujourd'hui grâce aux droits dérivés alors que mes musiques sont pillées par les DJ pour des samples et que mes albums sont piratables"
"Une fois que la loi sera passée, on n'arrivera pas à l'appliquer"
"La musique est condamnée à être gratuite et il faut trouver des solutions pour créer des revenus autrement"


Il est donc très exagéré de dire que tous les artistes soutiennent la loi Création et Internet. Ce qui est sûr, c'est qu'il y en a qui s'y opposent et/ou pensent qu'elle ne servira à rien, et que le Ministère de la Culture a recours à la manipulation pour faire croire que d'autres la soutiennent. Etrange pour une loi qui est sensée les protéger…

24 mars 2009

Le piratage ne tue pas la musique, ce sont les majors

1) Le piratage ne tue pas la musique
Les industries musicales ne cessent de répéter que le piratage entraine une baisse des ventes, et de citer des études qu'elles ont faites elles-même pour le prouver. Sauf que quand on consulte des études menées de façon indépendante on constate que ce n'est pas du tout exact. Si vous voulez, quelques gus en ont recensé tout un tas.


2) Les maisons de disque se portent très bien
Allez direct un bon exemple : Universal Music augmente ses bénéfices. En double période de crise (crise du disque et crise économique) c'est quand même bien joué. Pourquoi alors répètetent-ils tous qu'ils gagnent moins d'argent ? Parce que c'est vrai, d'année en année leur chiffre d'affaire diminue. Mais pour une simple raison : on vent moins de CDs, or tous ces CDs il faut les éditer (imprimer des milliers de copies) et les distribuer (transports, supermarchés, autant d'intermédiaires qu'il faut bien payer). Or maintenant qu'on vend moins de CDs (oui oui c'est la crise du CD) on vend beaucoup plus de musique en ligne et d'autres recettes s'ajoutent (comme les radios en ligne, etc…) qui elles ne coûtent rien en frais d'édition ou de transport (la magie d'internet et du numérique) et peu en distribution (juste la plate-forme de téléchargement ou de radio). Conséquence ils se font peut-être deux fois moins d'argent qu'avant mais en avancent quatre fois moins de l'autre côté, ça fait un bénéfice au final même si le chiffre d'affaire baisse. Donc les maisons de disque ont un chiffre d'affaire en baisse, c'est vrai, mais ça ne veut pas dire qu'elles sont en difficulté.


3) Les artistes se font enc*ler par les maisons de disque
Allez un petit exemple : tu fais deux albums avec EMI, vendus à 2 millions d'exemplaires. Eh ben tu touches rien, t'as 1,5 millions de dettes, et si tu protestes EMI te poursuit en justice et te réclame 30 millions de dollars. Ca pique un peu, non ?

Allez autre constat amusant, plus général celui-la. Combien gagnaient en moyenne un artiste et sa maison de disque pour un album (sur un CD vendu 20€ dans cet exemple) ?
8,69€ à la maison de disque,
3,68€ au magasin et aux grossistes,
3,18€ aux artistes interprètes,
1,17€ aux paroliers et compositeurs
et enfin, 3,28€ pour la TVA de 19,6%.
On ne peut pas dire que les artistes avaient beaucoup de revenus à l'époque du CD qui maintenant disparait… Mais heureusement, avec le développement d'Internet, les maisons de disque ont beaucoup moins de frais pour éditer et distribuer les musiques lorsqu'ils les mettent simplement sur des plate-formes, donc les artistes devraient en bénéficier et voir leur part augmenter ! Eh bien non. Les maisons de disque empochent plus des deux tiers du prix de vente TTC, et les artistes (auteurs, compositeurs et interprètes) se partagent 3 centimes (plus 2,76 centimes de la part de la SACEM qui seront redistribués à des auteurs et compositeurs, j'ai pas encore compris pourquoi la SACEM prélevait de l'argent là pour le redistribuer derrière en en dépensant une partie au milieu mais je ne vais pas spéculer sur toutes les magouilles qui doivent avoir lieu…)
Ceci bien sûr quand elle n'obtient pas tout simplement des artistes qu'ils renoncent tout simpleemnt aux revenus des ventes en lignes.
Donc en clair au lieu d'augmenter logiquement la part des artistes, les maisons de disque ont augmenté leurs bénéfices en les en*ulant complètement. La conclusion de ce dernier article est de plus très bien réalisée, je vous encourage vivement à le lire en entier, il n'est pas très long et il met bien les points sur les i…


Donc merci de ne pas répéter bêtement ce qui vous semble évident ou ce que répètent les lobbys, et de vous interroger maintenant : à votre avis, qui est responsable de la situation catastrophique des artistes…?

20 mars 2009

Comment HADOPI va peut-être multiplier votre ping par 8

Vous avez une entreprise qui a besoin qu'on puisse accéder rapidement à ses serveurs ? Vous êtes un gamer qui est heureux de gagner 10ms de ping ?

Alors sachez qu'en Irlance, depuis qu'un FAI a activé le filtrage comme ce sera peut-être le cas demain en France si on laisse passer la loi HADOPI, le temps d'accès des serveurs d'une entreprise a été multiplié par 8

Comment la loi Création et Internet va faciliter la condamnation à 300'000€ d'amende et 3 ans de prison

Dans mon précédent billet j'ai montré que malgré les affirmations de Mme la Ministre de la Culture, elle n'était pas capable de démontrer que l'adresse IP était une preuve suffisante pour condamner un abonné à Internet. Et pour cause, devant un tribunal, cela ne suffit pas.

La précédente loi pénalisant le téléchargement illégal, dite DADVSI, permettait de poursuivre en justice un pirate pour une peine allant jusqu'à 300'000€ d'amende et 3 ans de prison. En pratique, très peu de poursuites ont été effectuées (et les condamnations ont heureusement été beaucoup moins lourdes) pour la bonne et simple raison qu'il fallait une démarche très lourde une fois l'adresse IP relevée pour prouver la culpabilité. Dans l'exemple du billet précédent, il avait fallu que les gendarmes saisissent l'ordinateur de l'accusé et constatent la présence d'œuvres "piratées", et ils avaient également obtenu des aveux. C'est cette procédure très lourde pour finalement pas grand chose qui a rendu la loi DADVSI inefficace, les juges refusant de faire "un exemple" en condamnant sévèrement à 3 ans de prison les malchanceux sur qui était tombé le sort, ce qui aurait peut-être eu plus de retentissement et aurait probablement dissuadé beaucoup de petits "pirates".

La loi actuellement débattue, loi "Création et Internet" ou encore HADOPI, est annoncée comme prenant une autre approche, la "riposte graduée" qui consiste à envoyer plusieurs avertissement aux "pirates" avant de les sanctionner en leur coupant leur accès à Internet pour quelques mois, ce qui semble certes moins démesuré qu'une peine de prison et des milliers d'euros d'amende pour quelques mp3…

Je ne reviendrai pas ici sur tous les problèmes que pose cette nouvelle loi, j'aimerais avant tout signaler un fait bien simple : si cette loi HADOPI passe, il n'y aura plus besoin de persquisition des gendarmes ou d'aveux pour vous considérer coupable, seule la détection d'adresse IP suffira et vous recevrez donc un avertissement au premier téléchargement illégal, qu'il soit de vous ou d'un autre utilisateur de votre ligne (enfant à la maison, employé dans votre PME, ou encore un "pirate" qui a contourné le chiffrage de votre accès WIFI et se sert sur le net en vous faisant porter le chapeau…)

Or, maintenant que les amendements empêchant de cumuler DADVSI et HADOPI ou abrogeant l'inutile DADVSI ont tous été refusés sur la consigne du rapporteur et de Mme la Ministre de la Culture, rien n'empêchera de vous poursuivre quand même en justice sur la seule fois maintenant du relevé de votre adresse IP, et de brandir le fait que la HADOPI vous aura envoyé un mail d'avertissement pour réclamer les 3 ans de prison et les 300'000 euros d'amende de la DADVSI sans faire constater le délit par une perquisition ou obtenir des aveux. Comme la loi HADOPI aura été adoptée, l'accusation lors de ce procès pourra invoquer le fait que le relevé de l'adresse IP y est considéré comme une preuve suffisante de votre culpabilité, et vous avez intérêt à trouver un bon avocat pour expliquer au juge qu'une loi adoptée par le Parlement est entièrement basée sur du vent

Que Mme la Ministre et les autres défenseurs de cette loi cessent donc de répéter qu'elle veut remplacer la précédente et prendre une tournure plus éducative que répressive. La loi HADOPI, telle qu'elle est faite maintenant, va au contraire grandement faciliter la répression si elle est adoptée.

19 mars 2009

Justification bancale d'Albanel sur la suffisance de l'adresse IP comme preuve pour sanctionner

J'ai assisté aux débats de la loi Création et Internet, et au milieu de tous les problèmes posés par cette loi l'un des principaux me semble être le caractère de preuve irréfutable de l'adresse IP brandie par Mme la Ministre de la Culture.

Je rappelle que l'ensemble du système de la riposte graduée est basé sur un relevé des adresses IP qui téléchargent illégalement des œuvres protégées sur internet, et la sanction sans passer par un tribunal de l'abonné titulaire de la ligne correspondante (avertissements puis coupure de l'accès à Internet). Il est donc grave de mettre en place un tel système sans justifier de l'infaillibilité du relevé de l'adresse IP. 

Jeudi dernier, M. Tardy, le seul député UMP présent et ouvertement opposé à beaucoup de points de cette loi, a de nombreuses fois demandé à la Ministre de démontrer le caractère de preuve de l'adresse IP, en ne manquant pas de citer une affaire juridique dans laquelle l'adresse IP n'avait pas été reconnue comme suffisante pour prouver la culpabilité.

Mme Albanel, après avoir ignoré de nombreuses fois cette question, a finalement cité une affaire portée devant la Cour de Cassation pour en justifier :

"J’apporterai toutefois une précision à l’intention de M. Tardy, qui a évoqué un jugement de Guingamp sur l’adresse IP. L’adresse IP est considérée comme un élément de preuve par la Cour de cassation, et ce de façon constante. Elle valide les procédures judiciaires conduites sur cette base, comme le montre le dernier arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 13 janvier 2009. Il s’agit d’un élément fort, même si le tribunal de Guingamp, à un moment, a pris une autre position, jugement qui, d’ailleurs, n’est pas définitif."
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2008-2009/20090193.asp#P374_57141

Argument qui a évidemment laissé M. Tardy sans réponse. Néanmoins je m'étonne que personne n'ait parlé de ce jugement par la suite, car les termes de Mme la Ministre me semblent un peu hâtifs, en effet :

1) Un "élément de preuve" ne constitue pas forcément une preuve. Dire que l'adresse IP est considérée ainsi "de façon constante" ne signifie donc pas que c'est toujours une preuve valide, mais simplement un élément qu'on prend en compte. Ce qui fait une grosse différence : ça ne prouve donc rien tout seul.
=> Il ne me semble donc pas suffisant de se baser un relevé d'adresse IP pour sanctionner quelqu'un.
http://www.servicecanada.gc.ca/fra/ae/guide/21_1_0.shtml#a21_1_1 pour des définitions

2) Le dernier arrêt de la Cour de Cassation, cité par Mme la Ministre comme exemple de validation d'une procédure basée uniquement sur l'adresse IP, n'est évidemment pas basé uniquement sur cette adresse IP. En effet, l'adresse IP a été relevée par un agent de la SACEM, qui a ensuite porté plainte auprès de la gendarmerie, qui a après autorisation du parquet adressé une réquisition au FAI pour obtenir l'identité de l'abonné utilisant l'adresse IP relevée, et surtout :
"les vérifications effectuées ont révélé que l’ordinateur portable de cet abonné était utilisé par C. S. qui a reconnu qu’il avait procédé au téléchargement de nombreuses oeuvres musicales avant de les mettre à disposition d’autres internautes"

On notera bien que le jugement ne s'est pas limité au relevé de l'adresse IP mais qu'il est clairement mentionné comme autres éléments de preuve d'une part une vérification de l'ordinateur et d'autre part les aveux de l'accusé. Je ne vois donc pas en quoi cet exemple prouve que l'adresse IP est un élément suffisant à prouver la culpabilité d'un accusé…
=> Toujours pas de justification pour considérer l'adresse IP comme une preuve irréfutable.
http://www.foruminternet.org/specialistes/veille-juridique/jurisprudence/cour-de-cassation-chambre-criminelle-13-janvier-2009-2837.html

3) Mme Albanel avoue elle-même que l'adresse IP n'est pas suffisante en parlant d'un "élément fort" : certes, il est fort possible que le possesseur de la ligne d'une adresse IP relevée soit coupable ou complice. Mais ce n'est pas une preuve suffisante.

En conclusion, Mme la Ministre n'a toujours en rien prouvé que le système de la loi HADOPI, basé sur la validité de l'adresse IP et sans autres éléments de preuves, est un système légitime.

C'est tout de même gênant quand on sait qu'une fois la loi passée la HADOPI enverra donc des milliers d'avertissements et de coupures d'accès en se basant sur un élément de preuve qui n'est pas reconnu comme une suffisant au tribunal…

Ne vous étonnez pas si au lendemain de cette loi vous recevez des avertissements puis vous vous faites couper votre accès à Internet alors que vous n'avez rien fait